Hacked By Awad Sahar

Avi Mograbi



Lien

Wait, it’s the soldier, I have to hang up now / Israël, 2002, 13’09

Avi Mograbi fait depuis ses débuts le choix d’apparaître régulièrement dans ses films, pour témoigner d’une impossible distance entre un individu et sa société. Transgressant de pair les codes de l’acutalité et de l’écriture télévisuelle, Mograbi laisse tourner la caméra alors qu’une conversation est brusquement interrompue, il donne à voir sa propre perplexité, laisse le silence amplifier les mots précédemment échangés, et démontre que l’absurdité ne s’illustre pas toujours, et que le vide peut faire sens. L’échange téléphonique, déjà absurde puisque substitué à une impossible rencontre, s’ancre dans le silence que les actualités « meublent » peu à peu. La télévision est ici l’objet, qui sans changer de place dans le plan mais dans le regard, devient le flux, sensé être l’information, le fait, la réalité, si proche et si lointaine.

« Le matériau constitué par cette conversation téléphonique est issu d’une longue série d’entretiens tournés pendant l’opération « Defensive shield »*, en avril et mai 2002. Ce qui m’a frappé dans cette séquence, où je discute avec le producteur palestinien Georges Khleifi, c’était le déséquilibre entre les deux côtés du combiné. On ne peut qu’imaginer la personne située de l’autre côté, son apparence, sa maison, sa famille, tous sous le couvre feu alors imposé. On ne peut finalement qu’imaginer le moment où les soldats rentrent, qu’imaginer ce qui se passe quand j’essaie de rappeler et que ça sonne « occupé ». Pendant ce temps, chez moi, à Tel Aviv, la vie suit tranquillement son cours, et on ne peut justement pas imaginer que des soldats débarquent dans l’appartement. J’ai aussi téléphoné parce qu’alors, à cause des opérations militaires, il était interdit d’aller à Ramallah, mais quelque part, j’y étais, malgré tout : ces soldats sont des agents de mon pays, ils travaillent pour moi, c’est mon armée. » Avi Mograbi

*L’opération Defensive shield ou Rempart marque, en 2002, la seconde intifada. Le redéploiement de l’armée israélienne, alors sous l’autorité D’Ariel Sharon, dans les territoires palestiniens, est mené sur l’ensemble des territoires occupés, suite à une vague d’actes terroristes commis sur le territoire israélien. Les droits des citoyens palestiniens sont considérablement réduits : interdictions de déplacements, fouilles, couvre feu. Avec l’aimable autorisation d’Avi Mograbi

« ( …) dé-placer le présent permanent du flux télévisuel dans le temps. Prendre du temps, prendre son temps, différer. Mesurer ses positions dans l’espace et dans le temps, par rapport aux objets et aux autres. Il est nécessaire de ralentir pour s’approcher de l’objet du travail. Et plus que le questionner, le mettre en relation, c’est-à-dire à la fois le vivre dans l’espace et le temps, et le raconter »

Détail / Israël, 2003, 8’

Detail est une partie qui métaphorise le tout, une leçon d’écriture en images, un témoignage construit et implacable. Mograbi filme seul, à hauteur d’homme, témoin d’un va et vient insignifiant qu’il tente d’interpréter et de traduire en même temps. Il anticipe peut-être son montage en évoluant simultanément dans l’espace et dans la dramaturgie. Le dialogue humain/machine est traduit dans toute sa violence, usant d’une distance qui objective sa captation. L’apparition de l’ambulance est l’ingrédient « accidentel », paradoxalement tristement banal, qui, instaure le dialogue machine/machine et agit comme intercesseur entre la forme et le fond. Dans la dernière partie de la séquence, Mograbi fait un choix d’individu qui se superpose à son précédent statut de témoin. Il regarde, au sens PREMIER ( ?) du terme, et marque le passage entre reportage et cinéma. En produisant et en distribuant son film de lui-même, et en tentant l’expérience malheureuse de le montrer dans une biennale d’art contemporain, Avi Mograbi affirme également une position d’artiste, tout comme dans « Wait, it’s the soldier, I have to hang up now »

« Detail a été tourné au milieu de l’année 2003, à la jonction de trois villages, Azmut, Deir Hatab et Salem, situés à l’est de l’état de Naplouse, au cœur des territoires occupés. C’est un rapport des Physicians for Humans Rights – section Israël- qui a attiré mon attention sur ce lieu. Quelques mois plus tard, je me suis rendu là bas, pour tourner cette séquence, représentant effectivement un détail du film alors en préparation, Pour un seul de mes deux yeux. (…) Je n’ai pas fait grand-chose dans Dé tail, si ce n’est une sélection radicale sur la quantité d’images enregistrées. S’il y a manipulation de ma part, celle-ci vise à isoler l’essence de la situation. C’est ça le cinéma, on décide où est l’essence, le cœur, et on coupe le reste (…) Oui, ce détail est obscur, au moins pour nous les israéliens, parce que si nous le voulions, nous pourrions ne pas le voir, nous préférons ne pas nous exposer à ces détails innombrables qui rendent la vie de 3,5 millions de palestiniens insupportable. Nous nous racontons de nombreuses histoires sur la réalité, mais la vérité est que nous avons perdu la capacité de considérer nos propres agissements. » Avi Mograbi Avec l’aimable autorisation d’Avi Mograbi