Hacked By Awad Sahar

Julien Gourbeix est réalisateur, monteur et enseignant. Il a notamment réalisé Le Bal et Invalides.

Suivre les images à la trace
Julien Gourbeix

(fig1)

Télévision. Le singulier condense des réalités plurielles. Un meuble que l’on allume et dont l’écran s’illumine d’images à contre-jour au rythme effréné d’occurences luminescentes. Une industrielle production de normes, codes et formats qui érige un système de représentation, et de cet affranchissement des distances qui, dans le rebondissement de sattelites en récepteurs interposés, absorbe toutes les réalités phénoménologiques, projetant le lointain dans la prégnance d’un présent actuel. Devenue médium à part entière, de l’avenante abondance, la télévision produit de la diffusion.

Flash spécial. Une commutation dans le flux, objection à la programmation, qui formalise l’urgence : breaking news. La course est lancée dès réception des images qui parviennent par faisceaux dans les régies devenues cellules de crise. Les génériques s’administrent en pilules. La contamination visuelle commence.

« pour vous / sur vos téléviseurs / vivre les images / que vous puissiez / mesdames et messieurs / maintenant / c’est ici / suivre cette histoire qui s’écrit en direct »

L’événement médiatique est couverture de ce qui ne peut être capté. A défaut d’avoir lieu, il est la transmission “en direct” de mots d’ordres et de fragments partiaux : la fulgurance de l’événement traduite par l’informe hâtive diffusion. Peu importe les sources si le contenu supplée à l’absence d’investigation et qu’une information s’illustre. Hors de question de remonter la chaîne quand tout l’effort se voue à la diffusion. Quelque chose advient, c’est l’essentiel. Le pouvoir de la télévison tient à la revendication permanente d’un “ça communique”. (fig 1)

Dans l’urgence la répétion du même assure un renouvellement perpétuel des images. La tautologie produit un miroir à double face qui renvoie simultanément le reflet d’une réalité digérée par la vitesse et l’acte indéfectible de présence des médias, manifeste d’un pouvoir qui s’exerce. (fig 2)

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(fig 2)

Déjection. « Car toujours dit le miroir : celui que tu vois crache au visage et n’en sait le style qu’en décimant tout ce qui n’est pas crachat. »

L’appel du démenti permet en dernière instance de subvenir à tout accident de passage. Telle scène de liesse en Palestine montrée au lendemain du 11 Septembre sera expulsée de la boucle. Toute polysémie enrayant la feinte neutralité de l’image se doit d’être recadrée. Des variations luminodynamiques s’opèrent mais au service d’un ultime contrôle du signifié. (fig 3)

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(fig 3)

La vidéo dit je vois, et promettait de danser dans l’épaisseur même de l’image. L’ère des mutations et autres décollages du signal s’est close par l’asservissement de l’image au rang de véhicule. Vide impératif.

Aucun arrêt, aucune interruption dans les programmes ne permet de sortir de ce plus que présent de l’actualité qu’en dernier lieu assure le balayage des horizontales entrelacées qui composent l’image télévisée. Puisqu’aucune perspective ne permet plus de penser un travail in fluxus, il ne reste qu’à intervenir après-coup et puiser dans le flux la matière première. Objecter par montage afin de mettre à jour le parti pris des images. La machine télévisuelle semble s’interrompre dès que l’image refait surface. A l’instar des switch d’Anne Marie Clugnet et Alain Clairet, il semble que la condition d’un retour possible des images soit assuré par l’extinction du flux. Regard en joue dans le brouillard des signes. Le pouvoir retrouvé du monteur contredit l’assemblage à la chaîne d’images perdues dans le défilement, « défilade, défilé militaire » . Une contre-offensive rélève l’in-vu dissimulé par l’excés d’ostentation. Au delà de la valeur esthétique du détournement, la simple formulation d’une réponse à l’insolence du débit désamorce toute condensation du sens. Le montage déplie les intentions et les stratèges révélant ici l’orchestre de boulimie consumériste comme dernier facteur d’intégration sociale dans les 200 bouches à nourrir de Claude Closky, et ailleurs le déplacement symbolique qui substitue à l’illégitimité d’une intervention militaire, la valeur légiste d’un examen médical. (fig 4) Une 201e bouche et un pouvoir qui s’exerce par ingestion. Ingérence. L’affranchissement des distances dit aussi celui des corps.

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(fig 4)

Mais le monstre est vorace, réajustant toute contradiction à l’idéal de transparence. Aux rares montages qui rélèvent, à distance, le pouvoir du visuel, répondent de nouveaux dispositifs de vision sans regard. Une génération d’images à portée de main qui transitent d’écrans à écrans. L’habituel quart d’heure warholien se mue en participation démocratique à la démultiplication d’images à pertes de vues. Toute pulsion scopique rassasiée par un devenir ballistique. “Don’t think, shoot”. (fig. 5)

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(fig. 5)